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A découvrir en section jeunesse…

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Anton se jette à l’eau / Milena Baisch ; trad. de l’allemand par Hélène Boisson – La joie de lire, 2015

Cet été, en vacances en camping avec ses grands-parents, Anton vit une aventure courageuse qu’il entreprend de raconter : il se jette à l’eau !

Milena Baisch, autrice berlinoise de livres, de pièces de théâtre et de scénarios pour enfants a remporté le prestigieux « Deutschen Jugendliteraturpreis» en 2011 pour ce titre. Elle est dès lors traduite pour la première fois en français. De l’humour et des réflexions cinglantes d’Anton résulte un roman frais et ensoleillé comme des vacances au bord d’un lac. Derrière une carapace d’autodérision se cache un petit garçon qui cherche à apprivoiser ses faiblesses. Qu’il est compliqué d’avouer ses peurs lorsqu’on veut affirmer son identité masculine ! L’imagination peut être une fuite nécessaire, elle permet de se rêver aussi fort qu’on le désire. Auprès d’un alevin de perche, pêché dans le lac, Anton trouve un confident plus vulnérable que lui mais destiné à devenir un grand prédateur. Un récit de  vacances pétillant qui aborde, aussi tendrement que pudiquement, les inquiétudes d’un enfant qui grandit : ses difficultés à communiquer et à gérer sa colère, sa peur de ne pas être reconnu et accepté par ses pairs.

Un texte court et facile à lire, résolument optimiste, qui se termine par le cri de liberté gorgé de joie d’Anton, vainqueur de ses angoisses : Carrrraaamba !

Vanessa Léva

Bonnets rouges et bonnets blancs : un conte guadeloupéen (Marie-Galante) / Praline Gay-Para ; ill. Rémi Saillard – Didier Jeunesse, 2014 – (Contes du monde)

Voilà un album dont le contenu tout entier est subtilement condensé dans sa couverture : un univers forestier au feuillage foisonnant, à la fois sombre et lumineux ; un monstre cornu effrayant, la gueule ouverte, toutes dents dehors ; quatre enfants minuscules essayant d’échapper à un double danger (la forêt menaçante et la bouche immense) ; un titre bicolore détournant joyeusement la locution un brin moqueuse « bonnet blanc et blanc bonnet. »

L’histoire, violente et cruelle, raconte de manière savoureuse le conte merveilleux bien connu du Petit Poucet, adapté d’une version venue de l’île Marie-Galante en Guadeloupe. SI le propos et la trame sont similaires (des enfants abandonnés dans la forêt trouvent salut et prospérité grâce à la malice et au courage du plus jeune), les différences avec le conte de Perrault sont notables : ici les frères sont quatre (au lieu de sept) ; la mère est seule et a recours au jeu pour perdre ses enfants dans les bois ; l’ogre est remplacé par Compère Diable ; des péripéties sont ajoutées à l’intrigue ; à la fin, Quatavoune et ses frères ne vont pas retrouver leur mère mais partagent leur bonne fortune avec toute la communauté de l’île. La conteuse ajoute aussi une dimension comique jubilatoire.

Le texte de Praline Gay-Para est un régal et une invitation à la lecture à voix haute, tant il est chantant et musical. La typographie variée et colorée, les ritournelles (« Cric ! Crac ! Le sabot marche et claque ! Pour être bon conteur, il faut être bon menteur » ; « Vaca vaca voum ! »), les dialogues truculents, les noms aux consonances créoles, les rebondissements et le suspense soulignent et intensifient le rythme du récit..

Les illustrations de Rémy Saillard, réalisées à partir de gravures sur bois, aux couleurs franches, chaudes et contrastées, participent pleinement à l’exotisme et à l’atmosphère inquiétante et cocasse du récit. En variant la mise en page, il réussit à rendre toute la démesure, le côté monstrueux et ridicule du diable, tout en rendant perceptibles la petitesse et le côté espiègle du benjamin de la fratrie. Il y ajoute quelques clins d’œil imagés à d’autres contes célèbres (l’empilement de matelas de La princesse au petit pois ou encore les jarres de Ali baba et les 40 voleurs) ou, plus discrètement, des allusions contemporaines beaucoup plus sombres (la cheminée de la maison de Compère Diable rappelle celle des camps d’extermination de la seconde guerre mondiale).

Les enfants sauront apprécier ce conte populaire à la sauce martiniquaise, pour son côté angoissant, sa drôlerie et sa fin positive où les petits l’emportent. Une manière aussi de rappeler que la vie ne tient parfois qu’à un fil… rouge ou blanc.

D’origine libanaise, Praline Gay-Para (1956) est conteuse, autrice, comédienne et formatrice à l’art du conte. Depuis plus de 20 ans, elle mène aussi une réflexion théorique sur l’oralité et sur les récits contemporains urbains : conversations, récits de vie, faits divers, rumeurs, etc.

Rémi Saillard (1960) a suivi les cours de l’atelier d’illustration de l’Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg. A côté de son travail d’illustrateur (Le chapeau / Marcus Malte, 2006 ; Faim de loup / Eric Pintus, 2010), il travaille aussi dans la presse jeunesse et la publicité.

Catherine Hennebert

Le Bunyip / Jenny Wagner ; Ron Brooks ; trad. de l’anglais (Australie) par Angèle Cambournac – Thierry Magnier, 2015
Publié en 1978, « The Bunyip of Berkeley’s Creek » fait partie des classiques de la littérature de jeunesse australienne, le voici enfin entre nos mains. Son univers fantasmagorique succède dignement à l’esprit de « Max et les Maximonstres » de par sa forme et son exploration intime des sentiments. De surcroît, il nous plonge dans l’étrange et chaude torpeur du Bush australien dont on découvre les animaux les plus curieux. Cette singulière nature est illustrée à la manière d’anciennes gravures animalières.

Lorsque le Bunyip apparaît, il s’extirpe de la boue comme une énième naissance d’un monstre immémorial. Il lui vient immédiatement cette curieuse question : « Qui suis-je ? ». Le Bunyip, ce cousin de Nessie, dont l’aspect varie selon les tribus aborigènes, n’a-t-il pas toutes les raisons de douter de son identité ? Il fut pris pour un animal véritable par les premiers colons et nombre d’explorateurs se lancèrent à sa recherche, lui prêtant les pires intentions cannibales avant de démentir son existence. Le voici face à une question essentielle : peut-on exister sans la reconnaissance de l’autre ?

Jenny Wagner livre un texte psychanalytique concis, au vocabulaire juste et précis (merci à la traductrice/éditrice : Angèle Cambournac) dont la résonance est universelle. Ron Brooks nous transporte dans le mystère des billabongs par ses illustrations à la fois sombres et éclatantes. Nous suivons la progression de la lumière à mesure que les pages se tournent, l’image flamboie au crépuscule. Il n’est pas nécessaire de répondre au Bunyip : le plaisir de l’album tient autant à son ambiance mystérieuse et hypnotique qu’à son questionnement profond.

Vanessa Léva

La chasse aux papas / Mathis – Thierry Magnier, 2014 – (Petite poche)

Pour son quatorzième mini roman publié dans la collection Petite poche, Jean-Marc Mathis a choisi d’évoquer la question du père et quelques facettes de la parentalité. Derrière cette comédie à l’apparente légèreté, l’auteur aborde finement la psychologie et les questionnements des enfants. Suite à un drôle de quiproquo, les deux héros au coeur chagrin vont découvrir ensemble que le père idéal n’existe pas et qu’il faut se méfier des apparences et des préjugés. On y parle aussi de la faculté des enfants à s’adapter à des situations familiales pas toujours évidentes et puis, surtout, de l’amour et de l’écoute indispensables dans les relations parents-enfants. A la fin de l’après-midi (et du livre), les points de vue de chacun auront évolué, la colère de Paul sera apaisée, l’aveuglement de Pauline, estompé. Et le retour à la maison apportera aux deux protagonistes son lot de surprises. Un dénouement qui laisse présager des lendemains familiaux meilleurs.

Avec une grande économie de mots et beaucoup de finesse, Mathis possède l’art de décrire un personnage, une situation, une émotion d’une façon à la fois humoristique et sensible. Un roman réaliste, court, dense et facile à lire. Les phrases sonnent juste, les dialogues sont drôles et percutants, la conclusion inattendue.

Fils de maçon, Mathis (1965) a d’abord suivi une formation de dessinateur en bâtiment et travaux publics, avant de rejoindre l’Ecole de l’image d’Epinal puis les Beaux-Arts de Nancy. Romancier pour la jeunesse, il est également scénariste et illustrateur de BD et publie de nombreux albums pour la jeunesse (dont la série des Boris, initiée en 2010 et déclinée en série télévisée d’animation depuis 2013), ainsi que des nouvelles pour adolescents.

Catherine Hennebert

Combien de terre faut-il à un homme? / Annelise Heurtier ; Raphaël Urwiller – Thierry Magnier, 2014

« Le paysan Pacôme vit dans l’ouest sibérien, (…) il se lève aux heures blanches et glacées (et), (…) à l’heure du déjeuner, l’odeur du bortsch flotte dans l’isba… ». Immédiatement, le lecteur est transporté dans de rudes contrées ; à la découverte d’une culture et d’une époque : celles de Tolstoï.

L’adaptation d’Annelise Heurtier conserve la saveur de la nouvelle d’origine et la rend accessible aux jeunes lecteurs. Sur les traces de Pacôme, à la rencontre des Bashkirs (dont les thèmes orientaux ont inspiré cette nouvelle à Léon Tolstoï), ce conte philosophique intemporel pousse à réfléchir à la quête du bonheur et à l’avidité humaine. Dès la couverture, Raphaël Urwiller dresse l’inventaire des possessions du paysan dans l’esprit des Luboks, l’imagerie populaire russe. Le texte tragique et incisif est accompagné de sérigraphies lumineuses dont la justesse et la précision permettent une lecture limpide du récit. Les trois couleurs minutieusement choisies (rouge-jaune-bleu) soutiennent la tension du texte et font rayonner les personnages et les paysages.

Nous avions déjà découvert le travail de Raphaël Urwiller avec le conte Issun Bôshi (Actes Sud Junior, 2013) réalisé par Icinori (collectif expérimental qu’il a créé avec l’artiste Mayumi Otero). Cette fois, le constructivisme, l’avant-garde du livre jeunesse et  l’affichisme russes sont autant de sources d’inspiration qui ont nourri le sérigraphe dans ses recherches.

Ainsi chaque lecteur accède, à la fois par l’image et par le texte, à la quête de la vérité selon Léon Tolstoï, à sa critique de la société et peut en transposer les indispensables questions dans le monde contemporain.

Vanessa Léva

La forêt invisible / Julia Woignier – MeMo, 2015

En 2014, Julia Woignier (1986) faisait une entrée discrète mais remarquée en littérature de jeunesse en illustrant l’album de Françoise Morgan, La ronde des mois, paru aux éditions MeMo. Elle revient en 2015 avec ce premier ouvrage en tant qu’autrice-illustratrice. La forêt invisible est un livre audacieux, combinant une histoire surprenante et envoûtante à un univers graphique ludique et inventif.

L’équipée aventureuse d’une bande de chasseurs d’un autre temps, confrontés à une forêt mystérieuse peuplée d’êtres fantasmagoriques, renvoie à l’univers des contes de notre enfance. Lieu de passage ou de refuge, inquiétante, voire effrayante, la forêt est aussi un endroit d’initiation, synonyme de changement. Le récit met en avant l’absurdité de la guerre et les conséquences qu’engendrent la violence et la peur de l’autre. La chute et la métamorphose finale étonnent et font sourire. Au-delà de la parabole, c’est aussi une formidable entrée dans le monde de l’imaginaire. La sobriété du texte et son ton direct permettent à l’attention de se laisser entièrement captiver par l’image. Le graphisme et l’utilisation du fond blanc de la page font ressortir les couleurs de manière originale et dynamique. Le décor devient personnage à part entière quand les corps des protagonistes semblent se morceler. Une scénographie épatante, des couleurs douces et lumineuses, une pointe d’humour et une invitation à la réflexion.

Julia Woignier est diplômée des Arts Décoratifs de Strasbourg. Elle fut lauréate du Concours international d’illustration de Montreuil « Un livre pour demain » en 2013. Elle continue à mener divers projets dans le domaine de l’illustration (albums, décors de théâtre animés (Les oiseaux de passage, création collective genevoise, 2013-2014)…)

Catherine Hennebert

Robin au fond des bois / Malika Ferdjoukh – Gallimard jeunesse, 2014 (Folio Junior)
Plonger dans un suspense bien ficelé, c’est le plaisir de tourner les pages le cœur battant, d’être entièrement immergé dans la lecture. C’est ce qu’offre la réédition de « Robin au fond des bois » (1ère éd., 2010, Gallimard Jeunesse) en à peine 74 pages.

Malika Ferdjoukh fait partie de l’Association 823 (Association des amis de littérature policière), elle se passionne pour le cinéma américain et le polar dont elle est un des maîtres du genre pour la jeunesse. Telle une cinéaste, elle plante un microcosme propice à l’angoisse : un foyer chaleureux abrite une famille dont les rapports sont emplis de tendresse et d’espièglerie. Cependant, le monde extérieur paraît hostile, l’automne est venteux et froid. Pour unique voisin, un couple déchiré par la haine vit en huis clos. Robin et son frère sont arrachés à leur maison rassurante par un voyage en train. Le train est un protagoniste à part entière du roman policier, l’enfermement qui lui est inhérent permet un basculement vers l’horreur.

Tout se passe dans l’obscurité et l’isolement de la nuit. La frayeur monte crescendo : l’ennemi est un vrai méchant, la violence jaillit ; la peur est donc bien justifiée. On découvre l’insondable cruauté humaine mais aussi les ressources cachées qu’offrent l’adrénaline et l’instinct de survie. L’entraide apparaît indispensable malgré l’altérité, les défauts deviennent des atouts, l’aventure est initiatique. Tenu en haleine par une course poursuite, le lecteur ne respirera qu’à la dernière ligne. L’histoire se termine comme elle avait commencé : sur une note d’humour réconfortante.

Vanessa Léva

Yellow Yellow / Frank Asch ; ill. par Mark Alan Stamaty ; trad. de l’anglais (Etats-Unis) – Actes Sud Junior, 2015

En couverture, un petit gars en équilibre instable, un monde sens dessus dessous, des personnages en noir et blanc et un titre anglais se détachant sur un fond jaune poussin éclatant : autant d’éléments intrigants qui attirent le regard et attisent la curiosité. Ouvrant le livre, le lecteur pénètre dans un univers de contrastes, où se côtoient différents niveaux de lecture. Au fil des pages se déroule une histoire en apparence extrêmement simple et banale, celle d’un gamin des villes désoeuvré qui trouve un casque jaune oublié au milieu d’une décharge, ce qui réveille sa bonne humeur, déclenche son imagination et change sa vision du monde.

Publié en 1971 aux Etats-Unis chez MacGraw Hill (NY), ce chef-d’oeuvre de la littérature américaine était devenu introuvable. Réédité en 2013 en version bilingue en Italie par Orecchio acerbo (Giallo Giallo, Yellow Yellow), il est enfin traduit en français en 2015 par les éditions Actes Sud Junior. Yellow Yellow est le fruit de la collaboration de deux anciens condisciples de la Cooper Union for the Advancement of Science and Art de New York. Frank Asch (1946), prolifique auteur-illustrateur de livres pour la jeunesse (La souris de Monsieur Grimaud, 2004, Vite, cachez-vous !, 2007, illustrés par son fils Devin) est aussi enseignant et a créé une compagnie de théâtre de marionnettes pour enfants avec sa femme Jan (The Belly Buttons). Mark Alan Stamaty (1947) est à la fois auteur-illustrateur pour la jeunesse (De l’utilité des donuts, 2010), auteur et dessinateur de bandes dessinées et caricaturiste politique (Time Magazine, The Washington Post…).

Le texte de Frank Asch est minimaliste, d’une évidente simplicité, tout en discrétion et légèreté. Pour l’accompagner, en contrepoint, les illustrations au trait fin de Mark Alan Stamaty (1947) sont complexes et très élaborées, Chaotiques, elles explosent dans tous les sens, fourmillent de détails cachés, de gags visuels, de clins d’œil, de messages à décrypter et de surprises. Un univers psychédélique, étrange et insolite, entre un tableau de Jérôme Bosch et une BD de Robert Crumb. Ici, le fantastique et le merveilleux se glissent dans la réalité : l’environnement urbain y est délirant, les personnages sont grotesques, les animaux et objets hybrides, les proportions se déforment, les cadrages et perspectives sont chamboulés. Et puis, il y a cette pointe de jaune qui rythme le récit et devient, au fil des pages, de plus en plus présente et obsédante jusqu’à envahir l’entièreté de la page.

En dépit de son ancrage dans la culture consommatrice des années septante, le livre reste très contemporain et questionne aussi sur la place et le point de vue de l’enfant dans la société. Un livre extraordinaire, véritable terrain de découvertes, à lire et à relire avec un plaisir sans cesse renouvelé. Une ode à l’imagination, au jeu et à la créativité !

Catherine Hennebert



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